Publié le : 04 août 20206 mins de lecture

Aujourd’hui comme souvent lorsque le temps le permet, je suis sortie avec la toute petite pour finalement atterrir au parc ou notre nounou emmène habituellement la plus grande de nos filles. Là, personne, pas un seul enfant, pas une seule maman, ni même une nounou, pas de clochard, le parc est vide. Bah après tout, me dis-je c’est le mois de juillet et il est tôt, les âmes qui peuplent généralement ce lieu ne vont peut-être pas tarder. La petite arriverait sans doute vers 17h00, je choisis donc un banc à l’ombre, sors un vêtement rembourré, le pose et enlève Marie de l’écharpe de portage pour l’allonger aussi confortablement que possible. Elle entrouvre un oeil mais ne se réveille pas. Je m’émerveille de ce spectacle et l’immortalise grâce à la haute technologie moderne de l’appareil photo de mon téléphone portable. Un brin de fierté m’envahit et avec ce même outil de technologie moderne je décide de partager cet instant avec ma moitié, coincée au travail.

Mais ce n’est vraiment là que je veux en venir.

Peu après m’être installée, une dame entre dans le parc, elle n’est pas toute jeune, elle se dirige vers moi. Ce n’est pas la première fois que je la vois, à vrai dire c’est la seconde. La semaine dernière déjà elle était assise dans ce même parc lorsque je suis arrivée pour venir chercher la grande petite. Aujourd’hui elle s’est dirigée vers moi pour s’installer sur le même banc, et comme la semaine dernière elle a regardé la toute petite et entamé une discussion: « qu’elle est jolie », « elle est sage » etc. les propos classiques de la personne âgée qui souffre de sa solitude. Elle ne se souvenait probablement pas qu’elle m’avait déjà parlé la semaine précédente, elle ne se souvenait probablement pas qu’alors j’avais essayé d’esquiver la discussion dont je pouvais déjà me représenter le contenu mentalement. Mais là, aujourd’hui, pas moyen d’y échapper puisqu’elle était juste à côté dans la promiscuité de ce banc. Là, après qu’elle m’eût dit « il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui » (et pour cause nous étions les seules), je me suis dit que j’allais faire un effort et être pour une fois un peu moins autiste.

Elle a une petite fille de 11 mois, Camille (elle n’aime pas ce prénom), je ne sais dire d’après la conversation si elle la voit souvent, mais sa présence régulière en quête d’enfants laisse présager que non. Après quelques banalités sur la toute petite, elle me dit que sa petite fille elle pesait 3,9 kg à la naissance, qu’elle ne faisait toujours pas ses nuits et qu’elle était convaincue que c’était parce que sa fille l’avait mise à dormir dans une chambre à part bien trop tôt, à vrai dire, dès la naissance. Elle me disait qu’elle pensait que, vraiment, c’était trop tôt. J’ai cette tendance naturelle à vouloir défendre les absents, alors j’ai rétorqué que ce n’était pas si facile de savoir comment faire et que, gérer les cris d’un bébé lorsqu’on était soi-même épuisé tenait parfois de l’impossible. Plus tard, elle m’a dit que d’après elle, sa fille ne sortait pas assez avec son enfant, qu’elle avait beau lui dire qu’elle aérait bien l’appartement, ça ne pouvait pas être pareil que de venir dans un parc et que c’était bon pour les enfants de voir un brin de verdure. Là ne sachant que répondre je me suis tue. Puis j’ai appris que la même fille avant d’avoir sa petite avait fait une fausse-couche à 6 mois de grossesse. Mal à l’aise d’être exposée à tant d’intimité je lui ai dit que ça avait dû être terrible, qu’à ce stade là on sent bouger son bébé et que a avait dû être une véritable déchirure. Elle m’a confirmé les choses en me disant que sa fille pleurait encore beaucoup sur ce bébé. Je ne sais plus comment on en est venu là, mais elle a ajouté que sa fille lui avait dit qu’il était beau ce bébé, et grand, que c’était une petite fille. J’ai dit ‘ah, elle l’a vue’ et j’ai entendu, ‘oui elle l’a enterrée’. Gloups.

La conversation a quelque peu continué, elle m’a dit que cette expérience avait très certainement été difficile pour sa fille mais qu’un autre enfant était là etc. Elle avait peut-être tort, peut-être raison, je n’en sais rien mais plus tard j’ai essayé de lui dire qu’il fallait respecter l’éducation qu’un enfant donne à ses propres enfants lorsqu’il devient parent. Un coup de fil (salvateur?) est venu couper court à tout ça, me ramenant à la réalité de l’heure et du rendez-vous que nous avions à 18h00. Il était 17h15 et il fallait que je récupère ma grande petite qui n’était toujours pas là.

Je quitte donc les lieux, triste de cette solitude qui crève les yeux et encore plus triste de l’entêtement de cette vieille dame à juger sa fille source probable de son mal profond. Cette histoire est la leur mais je ne peux que trop bien entrevoir qu’elle pourrait facilement devenir la mienne, celle de mon voisin ou du quidam qui marche en ce moment dans la rue en bas.

J’ai récupéré ma grande petite et sa joie de vivre, je suis retournée dans ma réalité tellement moins pleine de solitude. Je vais essayer de bien garder dans un coin de mon esprit cette histoire pour me souvenir que mes filles ne m’appartiennent pas et que les enfants sont faits pour partir un jour et vivre leur vie, qu’il me faudra composer et accepter leurs choix.